La culture du palmier à huile et la consommation de l’huile de palme, offrent un sujet d’intérêt pour des scientifiques désireux de contribuer à l’actuelle controverse autour de laquelle les opinions publiques, relayées surtout par les médias hexagonaux, se sont cristallisées. Toutefois, comment la même culture peut-elle être considérée comme une « plante miracle » et un produit essentiel à la fois par les industriels de l’agroalimentaire et les producteurs, respectivement des hémisphères Nord et Sud, et dans le même temps, comme un problème de santé publique et une véritable menace écologique, environnementale et sociale par les organisations non gouvernementales (ONG) concernées par ces sujets ? Pour sortir de ce débat souvent irrationnel, traversé par des questions sociétales et sous-tendu par des arguments économiques inavoués, le Fonds Interprofessionnel pour la Recherche et le Conseil Agricoles (FIRCA), mandaté par l’Association interprofessionnelle de la Filière Palmier à huile (AIPH), a jugé utile d’impliquer les scientifiques dans la recherche de réponses objectives, à travers le programme « Huile de Palme, Santé et Nutrition ».
La Filière Palmier à Huile, aujourd’hui sous les feux de la rampe, est emblématique de l’évolution des rapports entre pays industrialisés et pays producteurs dans le développement de l’agriculture mondiale. Avant de devenir la matière première privilégiée de l’agro-industrie en Asie du Sud-Est et la bête noire des ONG de conservation, l’histoire du palmier à huile a commencé en Afrique.
En effet, Elaeis guineensis est originaire des forêts tropicales humides bordant le golfe de Guinée, en Afrique de l’Ouest et Centrale où sa valeur alimentaire, économique et culturelle est connue depuis des millénaires. C’est avec le palmier à huile que les populations des zones pouvaient manger des mets faits avec son huile obtenue de ses graines, s’égayer en buvant le vin tiré de son tronc, construire des maisons avec son rameau, etc.
L’espèce est endémique aux forêts des latitudes méridionales de la Sierra Leone au Cameroun, en passant par la Côte d’Ivoire, et dans les zones équatoriales du Gabon jusqu’à l’Angola, en passant par les deux Congo. Les palmeraies naturelles du golfe de Guinée sont en fait semi-domestiquées, l’action de l’homme se limitant à favoriser le développement de la plante. Les aptitudes de reproduction du palmier étant élevées, il prolifère naturellement sans qu’il soit nécessaire de le planter.
Mais avec le succès, vient le temps des critiques, car le palmier à huile offre des rendements en huile exceptionnels. Ils atteignent 3,8 tonnes par hectare (t/ha) d’huile de palme en moyenne mondiale, près de 6 t/ha dans les meilleures plantations d’Asie du Sud-Est, et plus de 10 t/ha dans les meilleurs essais génétiques effectués au sein des instituts de recherche. Ces rendements placent le palmier à huile en tête des plantes oléagineuses industrielles, car la part de l’huile de palme dans la production mondiale d’huiles végétales n’a cessé de croître au cours des dernières décennies pour atteindre la première place mondiale.
Dès la fin des années 1990, le palmier à huile devient la bête noire des ONG environnementalistes qui l’accusent de tous les maux liés à la dégradation de l’environnement. Il serait responsable à la fois de la conversion de forêts primaires, la perte de biodiversité, la disparition de la faune sauvage, la pollution, etc.
Il s’ensuit la polémique sur les acides gras saturés et principalement sur l’huile de palme observée en France, et plus généralement en Europe et sur le Continent Américain, alimentée par la connaissance insuffisante des mécanismes biochimiques de base concernant la prise alimentaire et la digestion humaine. Le phénomène touche des professeurs d’université, des cadres de l’agroalimentaire, des médecins nutritionnistes, tous censés fournir des informations exactes aux consommateurs. Mais, très souvent, leur méconnaissance de l’huile de palme conduit plutôt à semer le trouble auprès des décideurs politiques, des industriels et surtout des consommateurs, à qui l’on a fait assimiler des clichés totalement erronés. Cela s’est traduit par une perception simpliste des lipides en faisant référence uniquement à leur composition globale, comme si les lipides n’étaient que de simples mélanges d’acides gras libres. Cette approche triviale a entrainé un classement injustifié en termes de « bons et mauvais » corps gras pour la santé humaine.
Au regard de cette méconnaissance, les scientifiques ivoiriens ont saisi la main tendue par le FIRCA et la Filière Palmier à Huile, afin d’apporter une contribution utile au changement d’opinion sur le palmier à huile et l’huile de palme.
Ce constat montre comme pour beaucoup de secteurs industriels, que certains pays du Sud ont acquis d’importantes part de marché, et sans doute pour longtemps. Leur rôle reste toutefois prépondérant non seulement dans l’innovation, mais aussi dans l’interpellation de la filière sur les questions éthiques et environnementales. En outre, c’est au Nord que s’effectue encore la majorité des transformations agroalimentaires incorporant de l’huile de palme et c’est encore là-bas que siègent les multinationales majeures de l’agroalimentaire, cibles déclarées des organisations non gouvernementales.
Dans le cas atypique de l’huile de palme et pour la première fois, ce n’est pas l’acceptation d’une innovation technologique majeure (énergie nucléaire, organismes génétiquement modifiés, gaz de schiste, etc.) qui fait débat, mais bien une filière agroalimentaire, prise dans sa totalité, qui devient un symbole des antagonismes entre conservation des espaces naturels, santé et développement. Consommateurs, élus et scientifiques se retrouvent dans l’obligation de choisir leur camp : pro, ou anti « huile de palme ».
Selon la recherche, le palmier à huile est une espèce végétale cultivée parmi d’autres, une plante présentant des caractères favorables et défavorables en fonction des usages que les hommes souhaitent en faire, et sans aucune influence sur ces choix. Le palmier est une plante à usages multiples. L’huile rouge produite (riche en carotènes et parfumée), extraite de la pulpe des fruits est un ingrédient essentiel de nombreux plats de la cuisine traditionnelle en Afrique de l’Ouest et du Centre. Tous les tests, conduits à cet effet sur l’huile de palme, la présentent comme la plus stable de toutes les huiles alimentaires, grâce à sa résistance exceptionnelle à l’oxydation.
L’huile de palme peut se substituer à la plupart des autres huiles végétales et a de nombreux usages pour :
- l’agroalimentaire (80% des usages d’huile de palme) : huiles de table, huiles de friture, margarines, matières grasses pour boulangerie, pâtisserie, et tout type de préparation alimentaire, etc.
- l’oléochimie (19% des usages) : cosmétiques, savonneries, lubrifiants et graisses, bougies, produits pharmaceutiques, cuir, surfactants, agrochimie, peintures et laques, électronique, etc.
- le biodiesel (1 % des usages).
Mais l’huile rouge obtenue de la graine n’est pas le seul produit du palmier à huile. Celui-ci produit également l’huile de palmiste extraite de l’amande du fruit, le vin de palme, le cœur de palmier, et de nombreux matériaux pour la construction ou l’artisanat : feuilles en guise de chaume pour toiture, rachis pour les clôtures et pour consolider les constructions en terre, paniers, filets, cordes, balais, etc.
Il convient aujourd’hui avec les résultats de la science, de faire plus de place aux huiles de palme rouges standard ou hybrides. Les scientifiques avertis, la Filière Palmier à Huile et les associations de producteurs doivent intensifier leur communication face à la campagne de dénigrement entretenue par des groupes de pression. En effet, accepter le boycott de l’huile de palme, c’est encourager la production d’autres huiles végétales de composition chimique différente, souvent OGM, et pas forcément plus écologiquement ou socialement acceptables, compte tenu de leur plus faible rendement à l’hectare et de l’utilisation intensive de pesticides nécessaires à leur exploitation.
Jouer sur les préjugés entretenus auprès des consommateurs occidentaux pour condamner une filière tropicale dans sa globalité tout en protégeant les intérêts nationaux s’est rarement révélée être une stratégie payante (Berger, 1995). Le lobby américain du soja en avait déjà fait les frais lors de la « guerre des huiles » des années 1980 durant laquelle les huiles tropicales dans leur ensemble avaient fait l’objet d’une campagne de dénigrement abondamment argumentée par des institutions de circonstances. Dans le New York Times du 1er mars 1989, une page de publicité publiée sous le titre « The Poisoning of America » soumettait à la vindicte des consommateurs les industriels américains utilisateurs d’huile de palme. Certains événements survenus en France, relatifs à l’Amendement Nutella, le procès intenté aux Magasins U l’AIPH ivoirienne, l’autorisation accordée au pétrolier TOTAL d’utiliser jusqu’à 450.000 tonnes d’huile végétale par an, de l’huile de palme essentiellement, dans sa future bioraffinerie de La Mède (Bouches-du-Rhône), etc., ont montré qu’il était risqué de stigmatiser une filière, fut-elle tropicale, donc a priori privée de lobbyistes en France, sans en connaitre véritablement les mécanismes et les acteurs.